D. Baupin sur le nucléaire, « S’il est une légende qui a vécu, c’est celle du Nucléaire bon marché »
Partager

Le texte de  l’intervention de Denis Baupin à l’Assemblée Nationale en ouverture du débat sur les coûts de la filière nucléaire, organisé à l’initiative du groupe des députés écologistes.

 

Intervention accessible en vidéo via ce lien :
http://denisbaupin.fr/debat-sur-les-couts-de-la-filiere-nucleaire/
M. le Président,
M le ministre,

S’il est une légende qui a vécu, c’est celle du Nucléaire bon marché. Les rapports de la Cour des Comptes, la quasi-faillite d’AREVA, la vulnérabilité dorénavant incachable d’EDF, ont fait tomber le mythe, révélant un colosse aux pieds d’argile. Et ils confirment les conclusions du rapport de notre commission d’enquête sur les coûts du nucléaire dont le titre est plus que jamais d’actualité : « de l’âge d’or à la transition ».

Le coût de cette chimère entretenue pendant des décennies se révèle redoutablement élevé. Et, comble de l’injustice, ce ne sont pas ceux qui ont consommé l’essentiel de l’électricité atomique qui vont payer la facture – puisqu’on a artificiellement maintenu les prix bas, y compris en sous investissant – mais les contribuables d’aujourd’hui et de demain.

Plus grave encore, nous sommes rattrapés par la vérité des prix au pire des moments. Au moment où le monde entier se détourne des vieilles énergies de stock pour passer aux énergies de flux, il faudrait réinvestir des dizaines de milliards pour rafistoler des installations vétustes, qui plus est d’une technologie obsolète.

Pendant ce temps-là, nos voisins, et donc nos concurrents potentiels, investissent dans l’innovation, les énergies d’avenir, l’éolien et le solaire de nouvelle génération à fort rendement, les réseaux intelligents, l’effacement, l’efficacité énergétique, le stockage, l’auto production, la domotique, la capacité du consommateur à piloter sa consommation et sa production.

Au moment où le monde entier passe à l’électricité 2.0, nous devons choisir entre rester à la France pompidolienne, avec une organisation jacobine et centralisée ou passer à la modernité et au 21ème siècle.

Vous trouvez ces propos exagérés ? Écoutez ce que dit Jacques Repussard, ancien directeur général de l’IRSN , il y a quelques jours dans les Echos : « C’était le schéma stratégique d’il y a trente ans. Il y a un dogme ancien auquel on n’ose pas toucher et comme une peur collective d’ouvrir ces dossiers. »
Oui, les signaux d’alerte s’accumulent :

• Sortie d’EDF du CAC 40
• Démission avec fracas du directeur financier, en pleine négociation sur l’un des plus lourds investissements de l’histoire de l’entreprise
• Chute du cours de l’entreprise en deça de 10 € : en 7 ans, c’est 150 Milliards d’euros de valeur boursière qui sont partis en fumée, dont 85% de cette évaporation aux dépens de l’Etat donc des contribuables
• Multiplication par 3 des coûts de maintenance et d’entretien d’un parc vieillissant
• Mur d’investissement colossal à commencer par le Grand Carénage, affiché initialement à 55 milliards par EDF, et réévalué à 100 milliards par la Cour des Comptes… soit l’équivalent du coût de construction du parc existant
• Un endettement que le ministre de l’Economie n’a pas hésité à réévaluer à 60 milliards d’euros la semaine passée en commission
• On pourrait y ajouter la sous-évaluation de Cigeo et du coût du démantèlement, le rachat d’une partie d’AREVA dont toutes les usines font l’objet d’un audit pour défauts de fabrication, l’explosion des budgets et des coûts des réacteurs de Flamanville et de Finlande, les défauts génériques qui se multiplient dans des réacteurs vétustes, notamment sur des équipements aussi indispensables à la sécurité que les diesels de secours, la vulnérabilité aux attaques terroristes qui entrainera inévitablement des surcoûts pour protéger ces installations

Car on en revient toujours à la même question concernant le nucléaire : si ses coûts explosent, si son business model s’est écroulé, si une autorité de sûreté a été créée qui a droit de vie ou de mort sur chaque installation, ce n’est pas tant à cause de son rendement énergétique des plus mauvais, ou du fait de notre dépendance à 100% des importations d’uranium, mais du fait de sa dangerosité intrinsèque liée au risque d’accident majeur (possible en France ne cesse de répéter l’ASN, qu’il soit provoqué par une catastrophe naturelle, un attentat, un crash d’avion, une erreur humaine, ou tout simplement à la vétusté des installations), mais aussi à ses déchets, radioactifs pendant des millénaires et au risque de prolifération atomique.

C’est ce qui rend cette technologie si particulière. Fascinante d’un point de vue scientifique que cette capacité à faire péter l’atome. Mais bien trop instable pour un usage industriel sécurisé. A quelques semaines du 5ème anniversaire de Fukushima et à quelques semaines du 30ème anniversaire de Tchernobyl, il suffit d’écouter ce que disent Naoto Kan, premier ministre du Japon alors, et Mikael Gorbatchev : l’un et l’autre militent pour l’abandon de cette industrie, tant les ravages d’un accident nucléaire dépassent largement les bénéfices de cette technologie.

Et c’est parce que ce risque est omniprésent qu’il est toujours fascinant d’entendre des commentateurs dérouler immuablement des analyses basées sur un nucléaire ayant l’éternité devant lui.

Je n’aurais pas la cruauté de rappeler l’incapacité de notre industrie à construire du nucléaire neuf… en tous cas dans des délais et un budget ayant une quelconque proximité avec ceux annoncés lors de la décision de les lancer. Personne, même pas EDF, ne se hasarde aujourd’hui à prévoir un prix du MWh produits par les EPR en construction. Pour nous rassurer, on nous assure qu’il s’agirait de l’effet « tête de série ». Pourtant, ceux qui sont anticipés à Hinckley Point, réalisation supposée, selon EDF, bénéficier du retour d’expérience produiraient une électricité à un coût triple du prix d’aujourd’hui en Grande-Bretagne, 30% plus cher que l’éolien d’aujourd’hui, donc environ 50% plus cher que celui de demain.

On croit d’ailleurs tellement peu à l’EPR, que si ceux d’Hinkley Point sont construits un jour ils seront les derniers. On nous parle en effet maintenant de l’EPR nouveau modèle, rebaptisé pompeusement « EPR 2.0 ». Promis, craché, celui-là sera bon marché et compétitif ! Mais qui peut encore y croire ?

Parce que le nouveau nucléaire est hypothétique et prohibitif, l’industrie s’est résolue – alors que ce n’était pas son hypothèse de départ – à tenter de prolonger la durée de vie des réacteurs existants. Et dorénavant, elle applique la méthode Coué, pour faire croire qu’il s’agit d’une simple formalité.

Pourtant, c’est bien là que réside la principale hypothèque sur l’avenir d’EDF, bien plus lourde que toutes celles que j’ai citées plus haut. L’Autorité de Sûreté Nucléaire le réaffirme à chaque occasion : IL N’Y A AUCUNE GARANTIE DE PROLONGATION AU DELA DE 40 ANS.

Non seulement rien ne garantit la capacité de la cuve et de l’enceinte de confinement à tenir plus de 40 ans – rappelons que le réacteur le plus vieux du monde est en Suisse, à Beznau, qu’il a 45 ans et qu’il a été arrêté à cause des nombreuses fissures de sa cuve. Mais en plus, l’ASN a toujours dit qu’elle exigerait des travaux supplémentaires, dont PF Chevet a indiqué en commission il y a 15 jours qu’à coup sûr certains ne sont pas inclus dans les 100 milliards du grand carénage.

L’hypothèque qui pèse sur le passage des 40 ans est donc double : technique – les installations peuvent-elles tenir 10 ans de plus ? – et économique – est-il plus rentable d’investir des milliards pour rafistoler de vieilles installations pour 10 ans plutôt que des installations de production neuves ?

Il en découle une question qui doit se poser à tout responsable, industriel, mais aussi politique, attend-on d’être le nez contre le mur, vers 2020, pour réagir si ces risques s’avéraient au moins partiellement insurmontables, ou anticipe-t-on en prévoyant un plan B ?

Quelque part, ce plan B, nous l’avons. Ou au moins ses orientations. C’est la loi de transition énergétique qui les fixe en réduisant d’un tiers le nucléaire. Encore faut-il qu’elle se traduise dans les faits. Qu’une programmation pluriannuelle de l’énergie conforme à la loi soit publiée et qu’elle organise cette transition progressive.

Mais cela ne saurait suffire. La France a des fleurons industriels en matière énergétique. On l’a vu, certains d’entre eux souffrent. Pour la première fois leurs salariés ont compris qu’elles étaient mortelles.

Nous pensons qu’on peut encore les sauver. Mais il ne faut pas se tromper de diagnostic. Leur crise n’est pas conjoncturelle, elle est structurelle comme pour toutes les entreprises énergétiques. Mais tant qu’elles considèreront que la transition qui se déroule sous nos yeux dans tous les pays du monde est une hérésie, elles continueront de creuser leur tombe.
On ne peut pas gagner si on reste attaché à son vieux minitel quand le monde entier passe à internet. D’autres méga entreprises supposées insubmersibles, comme Kodak, ont été emportées en quelques années, faute d’avoir pris le virage technologique.

Notre majorité a eu raison de faire le choix de la transition énergétique. Il est donc totalement contre-productif de laisser notre principal industriel s’enfoncer plus encore dans sa nucléarite aigüe. Alors qu’elle devrait se diversifier, sa courbe d’investissement prévoit encore d’accroître son exposition au risque nucléaire qui est déjà de plus de 70% !

C’est d’autant plus incohérent que l’entreprise elle-même souligne que les surcapacités actuelles sont responsables de la baisse des prix sur les marchés européens. 12 de nos réacteurs servent uniquement à l’exportation et contribuent à cette surcapacité, de même que nombre de centrales à charbon allemandes.
Faisons d’une pierre deux coups : mettons-nous d’accord avec notre voisin, réduisons nos surcapacités de part et d’autre de la frontière en commençant par Fessenheim. Nous réduirons nos coûts de mise aux normes, et nous garantirons une meilleure rentabilité grâce à la remontée des prix. Et nous montrerons ainsi qu’il est possible d’ébaucher une Europe de l’énergie.

Et remettons à plat le projet pharaonique d’Hinkley Point. Les révélations de ce week-end sur le rapport d’audit interne confirment les risques inconsidérés pris par EDF. Pas étonnant, dans ces conditions, que tous les syndicats s’opposent unanimement, pour la première fois de leur histoire, à un projet nucléaire. Pas étonnant que le titre en Bourse ne cesse de chuter et que les agences de notation s’apprêtent à dégrader EDF. Elles, en tous cas, n’ont pas l’air de croire que c’est l’affaire du siècle.

La meilleure preuve en est qu’on nous indique qu’EDF aurait besoin d’une recapitalisation par l’Etat pour réaliser ce projet. Soulignons au passage que cette aide d’Etat supplémentaire non seulement confirme le coût très lourd du nucléaire pour le contribuable, mais aussi qu’elle risque fort d’être recalée par Bruxelles.
Et permettez-moi surtout de m’interroger si on accorde des milliards à EDF seront-ils mieux utilisés à construire un nucléaire déjà dépassé en Grande-Bretagne, ou à investir dans les technologies d’avenir sur nos territoires ?

En conclusion, mes chers collègues,

La mutation est en cours. Elle ne nous attendra pas. A travers le monde, pour la première fois en 2015, il y a eu plus de capacités renouvelables installées que le total de toutes les autres énergies. D’après l’IRENA, les renouvelables pourraient générer 24 millions d’emplois d’ici 2030. D’ores et déjà, en France, quand les entreprises nucléaires accumulent les suppressions d’emplois, les renouvelables en créent des milliers chaque année. Et le potentiel est gigantesque, pour peu que nous sachions organiser les transitions professionnelles.

Alors, pour nos emplois, pour notre industrie, pour notre pouvoir d’achat, pour nos territoires, pour notre environnement, mais aussi pour notre souveraineté nationale, il est temps de mettre en œuvre la loi de transition énergétique.