Visite du Centre de rétention de Calais : Mes impressions.
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Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe. Migrants. Calais.
Novembre 2014

« La commission des migrations de l’APCE organise des visites régulières des centres de rétention pour migrants, dans le cadre de sa mission de veille du respect des droits humains dans des centres fermés, où sont retenues des personnes en situation administrative irrégulière.
Il est utile de rappeler aux États que les organisations internationales, dont le Conseil de l’Europe, ont souvent dénoncé des conditions de vie dans ces centres, parfois pires que dans des centres de détention, à cause de la situation de fragilité des migrants.
De nombreux pays érigent la migration irrégulière en infraction pénale.
Les parlementaires se doivent donc de vérifier que ces centres de rétention, qui sont de fait des lieux de privation de liberté, offrent bien la transparence des actions qui sont conduites et le respect des droits humains.

La visite de la délégation française de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du Centre de rétention de Coquelles, prés de Calais, le vendredi 14 novembre se situait dans ce cadre. Composée de 5 députes et 2 sénateurs issus de trois grands groupes politiques UMP, socialiste et écologiste (représenté par moi-même).
Cette délégation était accompagnée d’administrateurs de l’APCE, du service des Affaires Européennes de l’Assemblée et du Sénat, d’un membre de l’Association Prévention de la Torture APT.

Le CRA, Centre de Rétention d’Arbelin, dont est responsable le commandant Pincer, est prévu pour une capacité de 79 personnes maximum, répartis en trois unités de vie. La durée de rétention moyenne est de 9 jours, et ne peut dépasser 45 jours. Les personnes en situation irrégulière sont en attente de décision administrative suite à une arrestation, sans inculpation ni procès, pour des motifs non pénaux.
Ce site, près du port de Calais et du tunnel sous la Manche, est très particulier puisqu’il est le seul poste frontière au Nord de l’Europe permettant de sortir de l’espace Schengen dans lequel les européens peuvent se déplacer. L’Angleterre cherchant à se protéger d’une immigration envahissante, mais surtout fermant les yeux sur l’emploi d’une main d’œuvre non déclarée et peu couteuse, crée une illusion d’eldorado et attire toujours plus de migrants.

Selon le Député du Pas-de-Calais Yann Capet, qui nous accueillait avant la visite, et cela a été confirmé par le Sous-Préfet et le commandant de police lors du déjeuner :
La situation migratoire très exponentielle ces derniers mois est devenue très anxiogène pour la population calaisienne, qui a pourtant toujours été en empathie avec les migrants, par un travail associatif de solidarité fort.
Ces témoins politiques, policiers et personnels de la préfecture ne disent pas autre chose quand ils rapportent que malgré des renforts importants d’escadrons de police, on leur demande de gérer la folie ! Cela ne peut pas remplacer de vraies réponses d’une politique migratoire européenne. La confrontation quotidienne à ce problème, à Calais, le rend central. Cela leur a permis de constater que nombre de migrants sont souvent des personnes qui seraient en capacité de contribuer à une évolution positive de la démocratie.

En effet, depuis 2 ans environ, ce sont des réseaux mafieux qui constituent la majorité du flux migratoire autour de Calais. Contrairement aux érythréens, soudanais, afghans ou syriens qui ont épuisé toutes leurs ressources quand ils arrivent là, un grand nombre d’albanais, passeurs et dealers qui ont de l’argent, vivent dans des hôtels et organisent des squats en ville.
Les « no-borders », décrits comme étant constitués de militants anarchistes d’extrême gauche par les représentants de la police et de la sous-préfecture, instrumentalisent un certain nombre de migrants, dont des syriens, pour manifester en ville ou conduire des opérations d’intimidation qui sèment des peurs de la population et un rejet qui est finalement bien récupéré par l’extrême droite.
Le grand nombre de migrants vivant à la périphérie, dans des camps improvisés, sans hygiène, soit sous des tentes fournies par les associations, soit dans des squats improbables tel celui réunissant plusieurs centaines de personnes, originaires d’Afrique du sud, sur une aire d’enfouissement de produits résidus d’une usine chimique, errent en permanence sur les points où ils ont la possibilité de se projeter dans un camion en partance pour l’Angleterre. Ce sont les publics les plus fragiles, sans argent et pour lesquels, au bout d’un long périple, il faut trouver le moyen de passer, coûte que coûte. Désespérés, ils sont prêts à tout pour arriver au bout de leur dernier espoir de vie meilleure.

Nous avons pu visiter une seule unité du CRA, parler avec son responsable et les membres du personnel, des représentants d’associations qui sont sur le site même et aussi avec des hommes retenus dans des cellules de taille très réduite, pour 3 à 4 personnes. Il n’y a pas de femmes, ni de familles avec enfants sur le site. Si certaines sont arrêtées, elles sont transférées immédiatement au Centre de rétention de Lille.

Le centre de rétention travaille toujours dans l’urgence, à flux tendu de personnel, une grande partie étant employée au transport des retenus vers les tribunaux et ambassades.
Si la majorité des retenus est calme, ces derniers mois, les tensions sont sensibles et quelques-uns ont pu exprimer des comportements assez violents envers les autres.
Assurer la sécurité de tous est difficile. Cela exige un personnel formé spécifiquement.

Nous avons pu parler avec des albanais et des pakistanais par l’intermédiaire de traducteurs, mais pas dans des conditions de confidentialité. De même, lors de notre rencontre avec les représentants associatifs, M. le commandant répondait souvent à nos questions. Les associations informent les retenus de leurs droits, les aides pour s’approvisionner en boissons, cigarettes, divers accessoires de toilette et vêtements. Ils leur proposent des téléphones portables basiques pour leur permettre de joindre des interlocuteurs extérieurs, sans avoir accès à internet.
Même si certains des retenus exploitent ce moment de rétention pour se refaire une santé, par l’accès à l’hygiène, aux soins, la nourriture… Tous ont hâte de quitter le centre au plus vite : ils se sentent « en prison ». Ils se plaignent du manque d’activités, de liens avec le reste du monde. La seule télévision à disposition dans une salle commune ne leur permet pas d’accéder à des diffusions de pays étrangers.
J’ai constaté un état de malpropreté du sol dans les couloirs et chambres collectives, confirmé par les odeurs. Le linge fournit est propre et semble suffisant. La cuisine et la salle de restauration sont particulièrement propres. Les repas sont fournis par Scolarest et l’hygiène parait bien respectée. Mais, clairement, ce centre ressemble à une prison.
Je pense que pour faire une visite critique et objective, il nous manquait probablement 1 heure supplémentaire, mais aussi des représentants de délégations d’autres pays d’Europe membres de l’APCE. Il est plus facile de réaliser une visite critique dans une administration, ailleurs que dans son propre pays. Les ONG le pratiquent. Je pense que l’APCE s’honorerait de l’imposer, pour un rapport plus juste.
Finalement, mon constat est que la seule réponse aujourd’hui à l’afflux de migrants dont le seul délit connu est la fuite de la misère et de situation de guerres est ce centre de rétention pour les renvoyer dans leur pays d’origine pour les uns, ou dans le pays où ils sont arrivés pour les autres !
Le projet de centre d’accueil de jour, s’il apportera un lieu d’accueil humain, une certaine sérénité en journée, ne sera pas une réponse aux camps et squats de nuit.
Il peut être un lieu créant du lien pour favoriser les solidarités et réconcilier la population calaisienne et les migrants.
Le sous-préfet est en recherche d’hébergements d’abris d’urgence en cas de grands froids pour l’hiver. Pourquoi pas plus durable ?
Le centre de Sangatte a dû être fermé suite à une mauvaise évolution dans le temps, à un manque de moyens d’analyse du changement des publics, des besoins et de gestion.
Cette expérience du passé ne pourrait-elle pas servir d’appui pour une réponse plus humaine européenne aux peuples contraints de quitter leur terre ?
Calais ne peut tout assumer, tout supporter. »

Brigitte Allain, députée écologiste de Dordogne