Au menu des élections : cantines scolaires et service public
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Quelques jours avant le Salon de l’agriculture et la journée pour une «exception agricole, écologique et alimentaire», parrainée par Michel Serres, le 25 février à Paris, le chercheur François Collart-Dutilleul propose ici quelques mesures très concrètes et faciles à mettre en œuvre pour la restauration collective. Avis aux candidats.

En France, la restauration collective représente environ 3 milliards de repas par an et un chiffre d’affaires de 17 milliards. Ce n’est pas rien même si, comme on va le voir, l’essentiel est ailleurs. Elle pose deux problèmes d’envergure que révèle une décision du Conseil constitutionnel du 26 janvier. Il est indispensable de mettre ces problèmes sur la table des élections à venir.

En premier lieu, le Conseil a déclaré conforme à la Constitution la règle nouvelle selon laquelle «l’inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille». On devrait s’en féliciter. Et pourtant… Cette disposition est discriminatoire car, sans même parler des enfants des collèges et des lycées, elle exclut le cas des enfants des écoles primaires qui vivent dans des communes où il n’y a pas de service de cantine municipalisé qui leur soit ouvert. Or, c’est précisément au nom de cette exclusion que le Conseil constitutionnel valide la disposition de la loi nouvelle ! Pour le Conseil, les communes sont libres de ne pas créer un service de restauration scolaire. Donc ce n’est pas un service public. Autrement dit, la discrimination entre les enfants est possible au nom de la Constitution ! En second lieu, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition du projet de loi qui obligeait les collectivités à servir une part minimale de produits issus de l’alimentation durable et de l’agriculture biologique (40 % de produits sous signes de qualité en circuit court et 20 % de produits bio). Certes, ce sont cette fois des raisons de procédure. Mais elles sont subjectives et la décision contraire était possible.

Et si on faisait de la restauration collective scolaire un service public ? Il y aurait quatre bénéfices considérables. Il n’y aurait plus de discrimination entre les enfants scolarisés selon l’endroit où ils habitent. Le droit humain fondamental à l’alimentation, reconnu à l’ONU, en Europe et en France, serait renforcé. Les règles de concurrence de l’Organisation mondiale du commerce, dont les services publics sont exclus, n’empêcheraient pas de favoriser un approvisionnement des cantines en fonction des choix locaux. Et le service public serait l’occasion de mettre en œuvre une politique de santé (équilibre alimentaire) et d’éducation à la nutrition, à la diversité des cultures alimentaires, au goût, au gaspillage…

Nous pourrions alors mieux traiter nos enfants, la nature, notre agriculture, tout en mangeant et buvant mieux dans un environnement préservé. Ne serait-ce pas désirable ? En tout cas, c’est possible, à trois conditions.

Tout d’abord, cela suppose de pouvoir territorialiser les politiques publiques de l’alimentation, de la préservation de la nature et du développement de l’agriculture. Ensuite, cela suppose de simplifier les compétences en matière de restauration collective. Actuellement, ce sont les communes qui ont compétence pour les écoles primaires, les départements pour les collèges, les régions pour les lycées, les Crous pour les étudiants et d’autres encore pour les Ehpad, les hôpitaux, les prisons… Comment définir des politiques publiques complexes et territorialisées avec une telle segmentation des compétences ? Enfin, il faudrait faire de la restauration collective scolaire un service public pour pouvoir oublier l’OMC et déroger au droit des marchés publics. Les territoires gestionnaires pourraient échapper au principe fondamental qui interdit de faire de l’origine géographique d’un produit un critère pour les appels d’offres. La porte s’ouvrirait alors sans avoir à contourner les lois sur l’approvisionnement en circuit de proximité, en produits saisonniers, avec un accompagnement corrélé de la gestion de la nature et de développement de l’agriculture à échelle locale.

Imaginons un bassin qui correspond à une zone de captage de l’eau potable pour une agglomération. Comme ce bassin recouvre plusieurs (parfois dizaines de) communes, celles-ci s’entendent pour accroître une offre de terres agricoles (PLU, fiscalité, subventions…) et pour aider de jeunes agriculteurs à s’y installer. On propose alors aux agriculteurs de ce bassin de réduire peu à peu l’utilisation de pesticides pour baisser le coût et améliorer la qualité de l’eau potable. On les fait aussi bénéficier de contrats de vente sur plusieurs années, avec des prix garantissant de leur dégager un revenu, pour l’approvisionnement de la restauration collective du territoire. Rien n’interdit d’intégrer les PME agroalimentaires locales pour la transformation des aliments.

On peut aussi raisonner sur un bassin de vie (schéma de cohérence territoriale, «scot»), sur un parc naturel régional, sur une région, un département, une commune. On peut aussi ajouter une couche de démocratie alimentaire en associant la population à tout cela.

Il ne s’agit pas de vivre en autosuffisance ni de refuser le commerce et le marché. Il s’agit de donner aux collectivités et communautés d’habitants le droit de relier intelligemment nature, agriculture et nourriture, à partir du puissant levier de la restauration collective. Chaque territoire qui le décide pourra ainsi définir les produits à réserver à l’approvisionnement «local» (le cas échéant national et même européen) et à définir son propre territoire d’approvisionnement en fonction des besoins, de la situation territoriale de l’agriculture et des souhaits de chaque communauté d’habitants (le territoire communal pour les fruits de saison, tel autre territoire pour les yaourts ou la viande…).

Il y a déjà en France (et à l’étranger) de plus en plus d’expériences publiques dans ce sens, plus ou moins avancées, avec parfois des prix de repas inférieurs à la situation ordinaire (notamment grâce à la lutte contre le gaspillage). Mais elles jouent à cache-cache dans les méandres du code des marchés publics, jonglent avec les mots et les virgules, sont noyées dans la paperasse et se débattent dans le millefeuille territorial (1). Pour aller plus vite plus loin, il manque un peu de concertation entre les politiques publiques de l’Etat, un peu d’ambition au Parlement et un peu de souplesse au Conseil constitutionnel.

Il y a urgence. Car l’Europe négocie à marche forcée et en catimini des traités bilatéraux de libre-échange avec le monde entier, à coups de milliers de pages, qui ouvrent toujours plus grand le commerce agroalimentaire européen aux autres continents (marchés publics compris), à des exploitations et à des industries de plus en plus massives et concentrées. Une telle politique distend le lien entre agriculture et nature et tout autant entre agriculture et nourriture.

Les enjeux sont considérables. Derrière les droits des enfants, il y a le sort des générations futures dont on discute dans les plus hautes instances mondiales. Et derrière le droit à l’alimentation, il y a le sort d’une humanité toujours plus nombreuse. Le droit est un langage social qui porte les valeurs qu’une société se donne à elle-même (2). Il suffit de vouloir et d’oser.

(1) Sur ces expériences : www.programmelascaux.eu (2) Avec le parrainage de Michel Serres, une journée d’intelligence collective pour concevoir une «exception agricole, écologique et alimentaire» aura lieu le 25 février au Carreau du Temple à Paris (programme et inscriptions : www.alimentationgenerale.fr)

François Collart- Dutilleul Professeur à l’université de Nantes, Institut de recherches en droit privé (IRDP)

A lire ici :
http://www.liberation.fr/debats/2017/02/19/au-menu-des-elections-cantines-scolaires-et-service-public_1549563