La Commission européenne vient d’autoriser le retour des farines animales pour nourrir le poisson d’élevage dès le 1er juin 2013. La décision avait été approuvée par les experts des Etats membres dès juillet 2012. La mesure autorise le recours aux protéines animales transformées (PAT) dans l’alimentation des poissons d’élevage et des autres animaux de l’aquaculture.
Entre émotion et laisser-faire, l’équilibre est nécessaire
La crise de la vache folle avait révélé des pratiques inadmissibles des fabricants et utilisateurs de ces farines. Ces pratiques avaient justifié une interdiction d’usage ces dernières années. Pour rappel, ayant découvert des importations frauduleuses de farines animales, la Confédération paysanne avait porté plainte en juillet 1996, pour introduction de produits toxiques en France avec constitution de partie civile. La plainte n’a toujours pas avancé. Dans le même temps, les premiers cas de vaches folles avaient été détectés en Grande-Bretagne la même année. Ces scandales avaient entrainé une crise de confiance sans précédent à l’échelle de l’Union européenne. Et aujourd’hui, le nombre de victimes humaines reste encore inconnu.
Ces farines animales reviennent avec, nous dit-on, des précautions et des conditions validées par l’Europe et par le Conseil National de l’Alimentation. Ces précautions seraient théoriquement acceptables si elles étaient rigoureusement appliquées, mais il est clair que les moyens nécessaires manquent pour qu’elles le soient effectivement. Et ce manque de moyens, notamment en ce qui concerne les contrôles justifierait à lui seul le maintien de l’interdiction d’usage de ces farines.
Pour autant, l’alimentation des animaux d’élevage pose des problèmes qui doivent être approchés de manière cohérente. Car l’enjeu est celui d’une agriculture durable qui puisse nourrir les hommes tout en respectant leur santé et les grands équilibres planétaires.
A l’heure actuelle l’élevage intensif, la concentration à outrance et les aliments industriels à prix compressé fragilisent les animaux, entrainent leur sur-médication et les rendent plus sujets à divers contaminations. Par ailleurs, si on prend l’exemple des porcs et des volailles, granivores en élevage moderne, mais omnivores de nature et recycleurs de vocation, leur alimentation nouvelle liée au développement des élevages concentrés, entre en concurrence avec celle des hommes.
50% environ des céréales commercialisées sont destinées aux animaux d’élevage, surtout ceux des pays riches. Cette situation a comme corollaires l’invasion des marchés du sud par des produits occidentaux subventionnés, l’accaparement des sols notamment pour la production de biocarburants ou encore l’importation massive ici de cultures tel le soja OGM qui entraînent entre autre, là-bas, la destruction des forêts tropicales et la ruine des cultures vivrières.
Si on y ajoute la spéculation qui a cours sur les matières premières agricoles, on a là une partie des causes de l’aggravation de la faim au sud et du gaspillage alimentaire ici.
Face à ces réalités, le recyclage en alimentation animale des farines animales produites dans de bonnes conditions sanitaires est préférable à leur incinération.
Mais cette possibilité pourrait être envisagée si et seulement si les conditions de contrôle le permettent, ce qui n’est pas le cas actuellement. Depuis une quinzaine d’années les recherches n’ont pas permis de mieux comprendre la genèse des maladies infectieuses telle celle causée par les prions qui restent des agents infectieux atypiques. La plus grande prudence est donc nécessaire. En l’état, nous demandons un moratoire sur les farines animales.
Parallèlement, il s’agit surtout de sortir progressivement de l’élevage industriel et productiviste, de plus en plus automatisé, qui nuit à l’environnement, à la santé et à l’emploi.
Rétablissons notre lien avec le sol
Rétablir la liaison au sol, c’est décider que le nombre d’animaux présents ne doit pas dépasser ce que les terres disponibles peuvent supporter.
La santé doit retrouver une place centrale dans l’alimentation animale et humaine. Il faut globalement revenir à une alimentation d’origine locale et à des procédés de fabrication plus sains.
Il faut également mettre en place un ambitieux « plan protéines » pour reconvertir les excédents de céréales en hectares de protéines végétales, ainsi qu’abandonner le gel des terres pour semer des protéines végétales.
C’est la grande leçon à tirer de ces crises sanitaires qui se sont multipliées.
Quant à l’alimentation humaine, c’est finalement en consommant moins de protéines animales ici que l’on pourra commencer à développer des alternatives. Consommer moins certes mais mieux, et localement. Consommer une production qui soit payée au juste prix et pas à des prix de dumping. C’est aussi en étant ferme contre la pollution et la maltraitance, en se donnant les moyens de contrôler réellement les filières et d’être vigilant envers toutes sortes de contaminations, que nous aurons la plus forte probabilité de prévenir les scandales sanitaires et alimentaires.
Soyons très vigilants
Plusieurs décisions de la Commission Européenne nous inquiètent. Le récent retour des farines animales pour nourrir le poisson d’élevage n’est pas une décision isolée. Depuis le 4 février 2013, la Commission autorise également les Etats membres à ne plus pratiquer de dépistage systématique de la maladie de la vache folle.
La Commission européenne est tout simplement en train de démanteler une à une, toutes les barrières qui avaient été mises en place suite à la crise de la vache folle. Or, la surveillance et les contrôles des filières sont plus que jamais nécessaires. Nous avons encore pu le constater par la mise au jour de la fraude de grande ampleur concernant la viande de cheval
Réintroduire peu à peu les farines animales tout en supprimant l’obligation de faire des tests de la vache folle au moment de l’abattage relève d’une incompréhensible irresponsabilité.
Cette décision, qui ne concerne pour l’instant que les produits de l’aquaculture, pourrait bien être un prélude à la réintroduction sans contrôle de toute sorte de farines animales dans l’alimentation d’autres types d’élevages. Parallèlement à ces décisions, on notera que la sémantique a elle aussi évolué : de déchets, ces restes qui constituent les farines, sont maintenant qualifiés de minerais. Le terme est nettement plus noble…
Il ne faut pas se tromper d’objectif, nous n’avons pas à favoriser la libéralisation de ce business des « minerais », par contre nous devons rétablir la confiance des consommateurs. La future loi sur la consommation sera une étape importante et nous attendons que de réelles réformes aient lieu tant au niveau de la traçabilité des matières premières, que de l’étiquetage des aliments.
René Louail, Conseiller Régional EELV de Bretagne
Joël Labbé, Sénateur EELV du Morbihan, Vice-président de la commission des affaires économiques
Danielle Auroi, Députée EELV du Puy-de-Dôme, Présidente de la commission des affaires européennes
Brigitte Allain, Députée EELV de Dordogne, membre de la commission des affaires économiques
Elise Lowy, Porte Parole d’Europe Ecologie – Les Verts